ARMAND GATTI, LA BATAILLE DES MOTS

Cahier de bord

Equipe de recherche de Stéphane Arnoux

Académie Expérimentale des Théâtres

La Parole Errante

Université Paris VIII


Samedi 28 octobre 2000

Tour de table : présentation des membres de l’équipe et du projet de mise en scène

Il apparaît très vite que l’équipe fait preuve d’une grande diversité d’intentions à l’égard de ce travail. Le vécu théâtral de chacun présente également d’importantes disparités.

Le groupe comprend 5 étudiants en DEUG concernés par la notation de l’exercice et des étudiants de licence à Paris VIII qui accompagnent la partie théorique de la bataille des mots et veulent ici lier leur découverte de l’oeuvre à une expérience pratique.

Il y a par ailleurs quelques personnes qui participent à l’exercice théâtral dans mon groupe, qui sont attirés par une pratique théâtrale essentiellement militante dont l’envie naît d’une jeune expérience de spectateur au TGP, ou qui sont déjà dans une pratique amateur voire professionnelle des arts du spectacle.

L’ensemble du groupe manifeste un grand intérêt pour le thème de la pièce comme pour l’écriture de Gatti, bien qu’aucun n’aie déjà eu un rapport quelconque à l’oeuvre de celui-ci. Toute l’équipe montre également une très grande motivation à produire un travail théâtral de qualité que beaucoup aimeraient poursuivre au delà de l’exercice.

Le projet de mise en scène est alors présenté et discuté. Il n’y a pas de réticences mais tout ceci ne deviendra concret qu’à l’épreuve du plateau.

Discussion sur l’action théâtrale de Gatti en perspective du théâtre contemporain

Au cours du tour de table, chacun exprime ses goûts en matière de théâtre et les raisons qui ont motivé l’inscription à l’atelier. Une discussion critique s’installe peu à peu sur l’état du théâtre contemporain, sur les postures artistiques des théâtres institutionnels et leurs méthodes de production, ainsi que sur la position de Gatti dans ce contexte. Il apparaît que la plupart des participants réclament avec vigueur l’existence d’un théâtre politique qui soit réellement en prise avec les problèmes concrets de notre société. D’autres se montrent ravis d’aborder un tel théâtre qui étonne leurs habitudes théâtrales et leurs réflexions esthétiques sur l’art du théâtre.

Premières problématiques de notre travail

Tous sont conscients des difficultés temporelles et esthétiques de ce type de travail. En particulier, apparaît ici la nécessité d’aborder à la table les complexités dramaturgiques de notre extrait ainsi que le contexte historique de l’Espagne qui est au coeur de la pièce. Par chance, nous avons dans le groupe un étudiant en Histoire qui fait sa maîtrise sur la guerre d’Espagne.

Par ailleurs, au désir commun de travailler avec des éléments matériels sommaires (scénographie, costumes, accessoires, éléments sonores) et des documents de référence, dans un soucis de typisation matérialiste des caractères et dans le soucis du projet de mise en scène, nous devrons construire une réponse satisfaisante en dehors du temps de l’atelier. Sur ce point, de nombreux volontariats et des éléments existants à Paris VIII, à La Parole Errante (ou à ma compagnie) permettront de gagner du temps tout en simplifiant au maximum les contraintes matérielles qui ne doivent pas être une entrave à notre travail mais l’un des moteurs de celui-ci.

Exposé des méthodes de travail et proposition de scénographie

Pour plus de détails, je renvoie au projet de mise en scène qui a été arrêté à la suite de cette première séance de travail.

Néanmoins, une méthodologie destinée à organiser notre temps est proposée. Il s’agit surtout de découper les séances de travail et le calendrier en fonction de nos objectifs.

De manière générique, les séances se dérouleront comme suit :

- Exercices corporels et travail énergétique

- Exercices de détente et de concentration

- Travaux éventuels à la table

- Travail de plateau

- Bilan de séance et tenue du journal de bord

Cependant, au fil du temps, nos séances ne devrait plus comporter que du travail au plateau de manière à permettre à tous de s’y exprimer chaque semaine.

Le fait de disposer d’une scénographie définie pose des contraintes fortes qui limitent le champ de notre expérience afin de nous concentrer sur les mots de Gatti dans un contexte favorable à la qualité d’une présentation scénique. Celle-ci est présentée dans le projet de mise en scène et guidera nos travaux dans un espace donné. Il serait donc préférable de disposer d’un lieu unique adéquat afin d’harmoniser nos repères.

Calendrier succinct des étapes de travail

 Les premières séances seront consacrées au travail du corps et de la voix, aux questions d’ordres dramaturgiques préalables au passage à la scène, à un travail choral des répétitions de la pièce.

Ensuite le calendrier sera tant que possible découpé comme suit :

- Novembre / décembre :

Mises en places, définition de l’espace de jeu

Etude des scènes et du contexte historique

Distribution progressive des personnages

Travail de plateau sur les situations, conflits, contradictions

Travail de toutes les scènes de l’extrait

- Mois de janvier :

Le texte distribué et su, l’espace est défini, une bande sonore accompagne le travail

Approfondissement du travail des scènes, du jeu et des personnages

Construction du « spectacle » (rythme, enchaînements...), et donc travail des contraintes scéniques auxquelles sont soumis les comédiens

Définition des conduites de plateau

Travail avec les premiers éléments de la scénographie (espace, accessoires...)

- Trois jours en février            :

Travail en filages

Conduites plateau, son, lumière

Correction du jeu et harmonie de l’ensemble

Liaison au processus dramaturgique commun aux quatre équipes

 

Samedi 4 novembre 2000

Cette fois encore, le retard de « une oeuvre à questionner » se répercute sur notre séance de travail. Il est donc aujourd’hui impossible d’appliquer le plan que nous nous étions fixés. Dans l’éventualité où cette situation devrait se reproduire, voire devenir habituelle, nous avons décidé d’un commun accord de nous accorder malgré tout trois heures de travail, quitte à prolonger au delà des horaires fixés.

Cette remarque invite tout naturellement à en formuler une autre: la rigueur et la disponibilité de nos équipes sont conditionnées par l’organisation générale du projet global. En effet, un membre de mon équipe a émis le souhait de quitter le travail à contrecoeur, miné par les retards et les problèmes d’organisation qui ont des retombées sur toute notre action et sa crédibilité. Il n’est pas nouveau de signaler que le théâtre nécessite une pleine concentration dans un cadre horaire bien défini, et il est essentiel de ne pas gâcher inutilement le potentiel créatif de nos équipes. C’est pourquoi je formule ici l’idée que nous devrions nous conformer au planning défini, de manière à ne pas privilégier la partie théorique au détriment de la pratique. C’est en respectant ce contrat moral que nous nous mettrons dans les meilleures dispositions pour mener à bien ce projet.

Deuxième séance

C’est notre première séance dans l’espace qui sera vraisemblablement celui de la présentation. Le travail dans ce lieu est pour nous idéal, puisqu’il nous est possible d’utiliser l’espace conformément au projet de mise en scène, ce qui permet de gagner du temps en prenant nos marques dès à présent. Par ailleurs, le soutien presque prématuré des moyens sonores et lumineux est un plus non négligeable et deviendra par la suite un outil prédominant.

Afin de profiter du plateau et de ne pas perdre de temps, nous remettons la lecture de la pièce à la prochaine fois et engageons une lecture dans l’espace de la première partie de notre extrait.

Préparation physique

- Relaxation et centrage des énergies par le Qi Gong : posture de l’arbre, verticalité, conscience de l’espace, respiration abdominale

- Quelques mouvements d’assouplissement

- Petit exercice d’écoute

Travail de plateau

Lecture debout, sur le plateau, de la première partie de l’extrait. Les comédiens occupent le fond de scène et constituent les premiers trajets d’un spectacle possible. La lecture entraîne naturellement les premières questions dramaturgiques qui seront au centre de tout notre travail.

A cette première approche, il est fort agréable de remarquer que l’ensemble du groupe dispose d’une certaine qualité d’expression théâtrale ainsi que d’une grande curiosité à l’égard du texte lui-même comme de son contenu politique. Les premières questions appellent un bref exposé historique qui engage le débat sur les moyens de rendre par l’action la pensée du texte.


Samedi 18 novembre

Première lecture

A l’occasion de cette première lecture, nous procédons au découpage du texte en séquences. Les rôles sont provisoirement distribués et chacun doit assumer de deux à six personnages. Cette première lecture de l’extrait et son découpage nous permettent de préciser nos connaissances du texte, d’en relever les principales contradictions, de recenser les problèmes rencontrés dans la dramaturgie. C’est pourquoi nous décidons de consacrer la prochaine séance au travail à la table, ce qui nous laisse le temps de faire quelques recherches et d’interroger Michel Séonnet sur les questions de « mythologie gattienne ».

A lecture, on peut remarquer une attitude commune des différents protagonistes à l’égard du texte. En effet, tous ramènent leur diction de celui-ci à une constante neutralité qui mine un peu l’énergie qu’il dispense, les différences de discours et d’intentions, ainsi que les moments comiques ou les rapports émotifs entre les personnages. Nous décidons donc de passer immédiatement au plateau pour tenter d’éprouver la « vie » du texte et confronter cette première lecture aux contraintes de la scène.

Travail de plateau et problèmes dramaturgiques

Nous engageons un travail de plateau avec une esquisse de mise en place. L’objectif est de pouvoir repérer les problèmes de distribution posés dans l’espace (acteurs intervenant en deux lieux en même temps). Par ailleurs ceci nous permet de tester une scénographie possible, cherchant à déterminer si celle-ci éclaire notre vision collective du texte.

Les questions dramaturgiques posées lors de la lecture viennent s’étoffer lors de ce travail scénique. Nous avons à débrouiller quelques problèmes de compréhension concernant le trajet La Havane-Mexico qui tiennent aux motivations possibles des personnages qui parlent. La fonction dramaturgique des Saint-François apparaît également problématique : il doit s’agir ici d’une « légende gattienne » sur laquelle nous tâcherons de recueillir des précisions.

L’absence de deux étudiantes handicape notre distribution déjà peu aisée à ce stade du travail, et nous décidons de faire tourner les rôles tant qu’une solution de répartition des personnages ne nous parvient pas du plateau. Il est particulièrement gênant de ne pas pouvoir au moins distribuer un « personnage principal » (personnage ayant un nom) par comédien.

Ce travail révèle également d’autres aspects de notre rapport collectif à l’oeuvre qu’il nous faudra sans doute confronter à la première version de la pièce qui est peut-être un peu plus claire, plus édulcorée, et en tous cas plus accessible. De même cette première version concentre les problèmes de la pièce aux actions principales et permet de mieux saisir les rapports entre les différents trajets.

Enfin, chacun se montre très volontaire sur le plateau, dans une relative concentration qui confirme le besoin d’exercices en début de séance qui seront systématiques dès la prochaine séance de travail scénique.


Samedi 25 novembre

Séance de travail à la table. Dramaturgie.

Afin d’avoir une vision globale de chacune des histoires que formulent les différents trajets, nous les lisons chacun dans leur propre continuité. Cette lecture « diagonale » de l’extrait nous permet d’entendre chaque histoire et leurs enchaînements mais nous prive volontairement des résonances de l’ensemble. Cependant, avec le découpage en séquence de la dernière séance et la présente réorganisation du texte, nous sommes en mesure d’entrer dans une meilleure compréhension de la structure de la pièce.

Les enjeux dramatiques apparaissent par le biais de cette lecture. Ainsi on cherche avec la première version du texte à retrouver les lignes directrices de la seconde écriture, faisant des connexions à l’endroit où c’est le même texte dit par un autre personnage, là où le texte a été coupé ou allongé pour une raison précise, là où le sens a changé. On trouve ainsi un moyen d’entrer de plein pied dans les problématiques des personnages, mais aussi dans l’étonnant enchaînement des séquences, dans la complexe organisation du temps et des espaces.

C’est donc une réflexion sur l’espace et la temporalité qui se place ensuite au centre de nos préoccupations. En effet, quand tel personnage s’exprime sur quel sujet, à quel moment de l’Histoire et de son histoire parle-t-il ? Cela a-t-il des conséquences ? A ces questions, on tente de donner des réponses pas toujours évidentes mais nous retrouvons le fil du temps dans l’extrait. Il semble qu’une fable principale se déroule au présent, c’est-à-dire après la guerre et pendant le franquisme, et cette fable convoque de tempe en temps des réminiscences ou des imaginations du passé qui nourrissent notre perception de l’histoire.

Les personnages sont mus par une irrésistible force qui les attire vers ou loin de l’Espagne. Même les drames personnels ou les histoires d’amour sont le produit de cette guerre perdue, comme par une interminable rotation de l’Histoire. L’histoire personnelle possède des rapports étroits avec l’Histoire collective, avec les combats, les défaites et la fuite, et chaque parcelle d’histoire renvoie à une centrale Espagne mythique qui n’est pas la même pour tous.

Les enjeux de la mise en scène se définissent donc d’abord dans la construction d’espaces cohérents, ayant la possibilité d’échanger des signes, et représentant les trajets et la tour de Babel. Au pied de cette dernière, un espace ouvert, commun aux trajets, accueille toutes les digressions hors du temps « principal », construisant un lieu de représentation à la fois multiple et diversifié. Par ailleurs, l’image scénique produite par les différents protagonistes dans ces espaces suppose une vision du public à 360° et non un dispositif frontal qui aplanirait les différences.

En dehors de notre réflexion sur la structure dramaturgique et les personnages, des questions restent toujours sans réponse. Il y a dans le texte de nombreuses références auxquelles il est difficile d’attribuer une identité. Par exemple, trois Saint-François viennent raconter comment une représentation de leur image a assisté au viol d’une très jeune fille pendant la guerre d’Espagne. Au fil de leur discours, ils ajoutent des précisions sur la relation de cette icône avec le chat Buru. Que peuvent bien ici signifier ces symboles, dont on sent bien qu’ils appartiennent à une obscure « mythologie gatienne » mais qui apparaissent ici de manière contradictoire avec les événements. Ou encore : que viennent faire trois espagnols motivés par diverses raisons dans un champ cubain de canne à sucre dans lequel on célèbre l’élection de la reine du caranaval ?

Ces questions ont été posées à Michel Séonnet qui nous a fourni des éléments de réponse que nous aborderons dans une prochaine séance. (lettre jointe au présent journal).

Saint-François -je ne me souvenais plus qu'il faisait référence aussi précise au curé de Colombie (Camillo Torres) -ça confirme un peu ce que disais -dans toute cette débâcle, Saint-François essaie de se mettre "à la hauteur des circonstances". Il est témoin muet (comme le chat) mais parce que témoin : fraternel, solidaire, manière de refuser la "vérité" de ce viol-meurtre sans témoin -comme toujours chez Gatti, i] faut trouver moyen par l'écriture de mettre en échec ]es faits qui entérinent les défaites -François et le chat sont réquisitionnés pour ça. Le chat -est-ce que ça a un lien '? dans une pièce où le personnage principal est une chatte, Cruelle (Le voyage du Gran Tchou) un personnage s'appelle Burbutinin ( c'est un curé !), plus sérieusement, son nom ressemble fort aux surnoms que Gatti donnait à ses chats (avant qu'i] ne vire chien)- il y a un autre chat-témoin dans l'infirmière -il est le seul interlocuteur de l'infirmière tout au long de la pièce. Fonction des chats: témoigner quand il n'y a pas d'autre témoin'?

Quand les hommes ont déserté, restent un chat et un saint en statue -un saint qui parlait aux animaux !

 

Pour .Joaquin -et le trajet La Havane!Mexico

Les situations cubaines sont toujours très complexes dans les pièces de Gatti. Complexité politique. Complexité sentimentale. Mais je crois qu'il s'agit chaque fois d'une danse autour du mot révolution -Miguel: celui qui l'a perdue, qui a cru la trouver là, déçu une fois encore, s'en va, mais du coup fait exactement les mêmes gestes que les contre-révolutionnaires cubains; Soledad : celle pour qui la Révolution est une mère assassinée -et qui cherche peut-être à Cuba manière de la retrouver(Reine de la Révolution !) ; .Joaquin : celui qui court après l'histoire '? la femme '? et qui ne trouve manière de la rejoindre qu'en lui donnant rendez-vous dans les rues de Madrid en guerre, faisant en quelque sorte le trajet inverse de Miguel (i] ne trouvera de possibilité de renouer les fils qu'en rentrant en Espagne et mourant) -du coup c'est comme un cercle: Joaquin suit Soledad qui suit Miguel, tous les trois Madrid en tête. Je crois que "Madrid" "la Révolution" comptent plus ici que le simple psychologique. Ce sont des figures d'une quête d'une révolution: horizon impossible, et pourtant unique horizon.

 

C’est un peu brouillon, mais n'hésite pas à me relancer.

A bientôt.

Michel


SAMEDI 2 DECEMBRE

Travail de plateau

La séance d’aujourd’hui consiste exclusivement dans l’amphi IV à préparer un travail de plateau destiné à tester la scénographie tout en découvrant des modes de jeu possibles à ce stade du travail.

Par groupes de trois, les participants préparent sur le plateau la première séquence du trajet La Havane-Mexico. Chaque groupe de trois élabore avec toute l’équipe une proposition qui est ensuite travaillée en divers lieux de l’université. Toutes les propositions reviennent ensuite sur le plateau où elles sont discutées. A chacune correspond une dramaturgie possible, un premier parti pris de mise en scène. Tous les comédiens jouent l’un des trois personnages de la séquence.

En fin de séance, nous élaborons un dispositif scénique ressemblant à notre croquis scénographique. Les quatre groupes occupent chacun un point cardinal aux quatre coins de l’espace. On a donc simultanément les quatre propositions comme quatre trajets identiques qui se regardent et se répondent. Chaque groupe a la possibilité d’évoluer dans l’espace et chacun joue un spectateur quand il ne joue pas. L’ensemble est joué plusieurs fois dans l’attitude concentrée d’une possible représentation.

Ceci révèle à la fois une utilité nouvelle de cette scénographie et un nouvel aspect de notre compréhension du texte. En effet, chacun des trajets ainsi éclatés dans l’espace de jeu représente un groupe d’espagnols exilés du centre du plateau, comme cette Espagne éclatée aux quatre coins du monde. Le centre, espace neutre ou Espagne symbolique accueille des points de rencontre de ces différents trajets. Alors, soudain, dans le jeu, se produit une remarque commune, une évidence que nous n’avions pas abordée : ce que nous avions pris pour des adresses au public et que nous avions commencé à traiter comme telles, c’est ce possible point de rencontre imaginaire (ou proprement théâtral) entre ces trajets à travers une imagination commune de plusieurs Espagnes possibles.

Cet instant dans notre travail constitue probablement un tournant important : il a permis de connaître un peu mieux toutes les particularités de chacun et leurs aptitudes au jeu théâtral, il a aussi permis de partager un instant très fort entre les participants dans le sentiment naissant d’un spectacle possible qui rencontrait enfin l’émotion du plateau. A partir de là, le projet est devenu commun à tous, dans une imagination collective, et dans une motivation collective accrues.

Pour ma part, j’en retire une meilleure compréhension du texte à partir de laquelle concevoir une dramaturgie d’ensemble qui orientera notre travail. Nous sommes en présence d’une triple énonciation qu’il est essentiel d’éprouver à l’abord d’une séquence : l’acteur parle au public, aux autres personnages de son propre trajet, et à un public imaginaire constitué par l’ensemble des autres trajets. Ceci interroge la place et le rôle théâtral possible des « vrais » spectateurs : identifiés à ces trajets, rendus un instant espagnols au milieu de cette Espagne symbolique, le public peut devenir un enjeu fort de ce spectacle. Placé non plus seulement au rang de spectateur, parce que placé au milieu d’acteurs eux-mêmes en train de jouer des spectateurs, le public devient notre principal partenaire, découvrant cette histoire en train de se jouer avec le regard plus complice du protagoniste silencieux, presque obligé temporairement au silence.

D’autre part, les différents modes de discours, vivant, poétique, virulent et souvent narratif, favorisent cette acception de l’espace théâtral en séparant dans la gestion de l’espace l’intime et le particulier, l’histoire commune qui se raconte et l’imaginaire qui se construit, la remarque qui s’adresse à untel et le commentaire abrupt de l’aparté. C’est aussi une nouvelle conception de la distanciation : un effet d’étrangeté partagé produit par une variété sans cesse renouvelée de rapprochements et d’éloignements, dans une réception où l’émotion cherche l’équilibre d’une narration.


Listes d’ACCESSOIRES, decors et costumes

A partir de janvier, il serait préférable de continuer les répétitions avec les costumes, accessoires et éléments principaux de la scénographie. Par ailleurs, je réaliserai une bande son qui nous accompagnera dès la prochaine séance.

Principalement, pour construire l’espace nous avons besoin de quatre praticables et de l’échafaudage qui orne déjà le plateau de l’amphi IV. A cela, il faudrait ajouter un certain nombre d’accessoires qui peuvent être apportés par les participants, ma compagnie ou encore par l’Académie :

-         quatre bancs d’environ quatre places

-         quatre tables

-         une quarantaine de chaises (pour la représentation)

-         deux rideaux noirs et deux parois verticales d’environ 2x1m50

-         un projecteur vidéo

-         valises, fusil en bois, cierges, une statuette de Saint-François, journaux, livres

-         les deux drapeaux espagnols (l’actuel et celui de 36)

-         panneaux de carton peints

-         fusils, papiers d’identité, vieil appareil photo, verres, bouteilles, carafe, tasses, gourde

-         un micro, une radio, hauts-parleurs

-         corde à sauter, paille à bulles de savon, marteau, corde, baudruche, crucifix

Les costumes sont très nombreux vu le nombre de personnages et le fait que les comédiens changent souvent de rôle. La plupart du temps, des costumes de ville un peu « datés » (et des robes) très simples, un peu usés et portés exclusivement lors des répétitions feront l’affaire. Cependant les costumes suivants sont indispensables :

-         une aube ou une robe de bure pour Saint-François, avec les trois cordons blancs

-         quatre uniformes militaires

-         quatre uniformes de miliciens (à distinguer des précédents)

-         deux bleus de travail

-         quatre costumes (pantalon, verste, chemise, cravate)

Au cours du travail, d’autres accessoires ou costumes pourront s’avérer nécessaires


SAMEDI 9 Décembre

Nous commençons la séance à 18h30 après un retard considérable de la première partie. En conséquence, nous décidons collectivement de reporter cette séance à dimanche prochain si un lieu est trouvé d’ici-là. Comme il y a fort à parier que cette situation risque de se reproduire une dernière fois la prochaine séance, nous travaillerons donc la journée entière tous et en petits groupes. Devant cette situation, quelques participants expriment à nouveau leur désir de quitter le travail si ceci devait se reproduire en janvier, j’ai donc pris sur moi pour expliquer qu’en janvier nous récupérerons précisément le temps de ce premier espace et gagnerons ainsi des heures, dépassant largement les 75h prévues à l’origine.

Pendant l’heure qu’il nous reste, un tour de table nous aide à repérer les attentes de chacun dans ce travail, mais aussi les manques et les défauts de compréhension de l’œuvre. Nous reprenons donc

une discussion sur l’écriture de Gatti et tentons de faire le point sur ce qu’il nous reste à découvrir.

 

DIMANCHE 10 DECEMBRE

Environ la moitié du groupe est présent pour cette répétition ajoutée au planning et qui se déroule dans le studio de danse conformément au choix des participants.

Après quelques exercices d’assouplissement et de concentration, dans une bonne énergie, nous continuons à mettre en travail les premières scène qui exposent les différents trajets. Peu à peu, un autre objectif est satisfait : la distribution commence à se dessiner.

Nous travaillons plus particulièrement deux séquences : la scène Luis-Manuela dans le trajet Barcelone-Francfort et l’histoire de Marino avec les Saint-François dans le trajet Toulouse-Madrid.

Cette répétition en deux parties nous permet de préciser les éléments constituants des personnages de Marino et de Luis dans les différents trajets.

Le premier, qui parle par la voix d’une reproduction de Saint-François, est déterminé dans cette aventure par sa volonté inaltérable de raconter le viol de la petite Luz par les soldats de Franco, et il ne trouve comme témoin que cette reproduction fortement symbolique. Dans son voyage, Marino demande sans cesse la présence de Saint-François, non pas seulement à cause de la situation de « témoin » de celui-ci, mais aussi parce que ce symbole doublement interprété peut partager en deux vues le présent de l’Espagne. Le Saint des pauvres, des lépreux, des contraints à l’exil, le saint « révolutionnaire », entre en conflit avec sa propre image : celle qu’on s’arrache dans les magasins de souvenirs de l’Espagne franquiste.

Le deuxième, Luis, montre dans cet échange avec sa mère comment l’Espagne, une génération après la guerre civile, a changé de visage. Le jeune Luis ne rêve que de richesse, de voitures, de piscines, et il veut convaincre sa mère du bien fondé de cette « idéologie » en terme de confort personnel. Mais celle-ci ne peut que lui renvoyer le souvenir du père, qui était parti en Allemagne, tout comme Luis maintenant, mais pour finir enrôlé dans l’armée allemande sur le front russe où il est mort. Du père au fils, le trajet est le même, mais le fondement idéologique a cédé à l’époque : celle du capitalisme triomphant. Le capitalisme de Luis, c’est peut-être un refus de la défaite.

Enfin, cette répétition nous permet d’aborder la délicate question du traitement scénique de la scène des Saint-François et du témoignage de Marino, mais nous devons partir en laissant la question ouverte pour une autre séance. Les rôles distribués, nous y reviendrons.


SAMEDI 16 DECEMBRE

Aujourd’hui, après la discussion avec Armand Gatti, nous reprenons le travail des premières séquences, non pour figer un acquis, mais pour poursuivre notre découverte des rapports contextuels et des personnages. De manière générale, chacun des rôles est proposé par un participant qui échange ensuite avec un autre, ce qui permet de diversifier les interprétations tout en favorisant l’avènement naturel d’une distribution.

A l’issue de cette séance, nous entamons une grande réflexion sur la distribution possible, en cherchan,t à satisfaire le mieux possible les attentes de chacun tout en restant cohérents.

 

SAMEDI 23 DECEMBRE

Comme convenu, et malgré le faible nombre de participants, nous montrons à Michelle Kokkosovski et à Bruno Tackels l’un des états de notre travail en cours. Nous plaçons donc dans l’espace les trajets La Havane-Mexico et Toulouse-Madrid, les deux trajets restants étant occupés par nos deux spectateurs.

Cette expérience n’apporte cependant pas grand chose à notre travail, si ce n’est de donner aux comédiens une idée des tensions qui s’accumulent et bloquent un processus de travail lorsqu’il est trop tôt confronté à un regard « extérieur ».

Après cette petite expérience et un café partagé ensemble, nous partons en vacance, décidant de poursuivre le travail lorsque le groupe sera de nouveau réuni en janvier.


La Passion du Général Franco

- Distribution au 23/12/00 -

Trajet Barcelone-Francfort

Manuela

Luis

Ricardo

Carlos

 

Elisabeth Goncalves

Nordine Laroussi

Myriam Kerkeni

Simon Lepeutrec

Trajet Toulouse-Madrid

Dolores

Marino

Joan

 

Marie Baudet

Céline Devaux

Julia Muller

Trajet Kiev-Krasnoïarsk

Jamin

Mateo

Rafael

 

Sylvia Bagli

Eric Gomez

Philippe Casanova

Trajet La Havane-Mexico

Soledad

Miguel

Joaquin

 

Hélène Havlik

Eric Gomez

Didier Zyserman

Tour de Babel

Carrero Blanco

Alfonso

Ministre de l’éducation nationale et du culte

Ministre de la santé, de l’intérieur

Ministre des finances, des affaires étrangères

Doña Carmen

 

Lear Packer

Céline Devaux

Simon Lepeutrec

Hélène Havlik, Julia Muller

Elisabeth Goncalves

Sylvia Bagli

Groupe de base

(La Havane)

Machetero

Nicola

Miliciens

(Frontière près de Barcelone)

Policier

Gardes civils

Prêtre

Jeune fille

Représentant communal

Radioreporter

(Toulouse-Madrid)

Saint-François

Garde civil

Segura

 

 

Simon Lepeutrec

Marie Baudet

Simon Lepeutrec, Philippe Casanova, Sylvia Bagli

-

Lear Packer

Julia Muller, Didier Zyserman

Nordine Laroussi

Céline Devaux

Lear Packer

Hélène Havlik

-

Sylvia Bagli

Lear Packer

Myriam Kerkeni


à suivre